Paris-Berlin et la défense européenne
La défense : un thème privilégié pour gagner les élections ? Dans cette campagne électorale européenne, un « mot magique » est omniprésent dans les débats politiques en Allemagne : « défense ». = Le site internet « Euractiv » considère ce thème comme majeur au sein des stratégies de la social-démocratie européenne. En France, la campagne menée par Place Publique et le Parti socialiste connaît un important succès en évoquant le thème de la défense et de la souveraineté européenne En effet, face aux multiples crises et conflits internationaux, la question de la défense de l'Europe n'a jamais été aussi présente.
Il est clair depuis longtemps que les idées des conservateurs, des libéraux et des sociaux-démocrates européens en matière de politique étrangère et de sécurité se rejoignent sur le thème d'une politique de sécurité commune forte. Face aux craintes de la montée de l’extrême droite sur le continent européen , l'enjeu est de de taille. Si les partis démocratiques parviennent à défendre leur majorité au Parlement européen contre les partis eurosceptiques le Parlement européen pourra continuer à être force de proposition pour des approches européennes communes. La question de la création d’un poste de commissaire à la défense, du renforcement des prérogatives du Parlement européen sur les questions de défense et les enjeux en matière d’industrie européenne de défense pourraient ainsi être des sujets lors de cette prochaine mandature.
Cependant, la guerre menée par Poutine contre l'Ukraine et la multiplication des conflits internationaux ont déjà conduit l'UE à prendre ces dernières années des initiatives en matière de défense qui semblaient inimaginables il y a encore peu de temps. Il s'agit notamment de l'aide financière accordée à l'Ukraine dans le cadre du budget de l'UE, de la Facilité européenne pour la Paix , un instrument destiné à financer des actions extérieures de l’Union européenne ayant une dimension militaire ou de défense, , ou encore de la stratégie industrielle européenne de défense. Les débats portent également sur la cybersécurité, la lutte contre le terrorisme, la sécurité économique et la protection des institutions démocratiques. Je n’ai pas vraiment l’impression que cela ait été le cas lors de cette dernière mandature ? exemples ?
En Allemagne, le fait que les sujets de défense et de sécurité soient devenus des thèmes majeurs de la campagne des élections européennes, relève du miracle. Jusqu'à présent, la retenue en matière de politique étrangère était considérée comme la meilleure recette dans les campagnes électorales. Désormais, les thèmes de la défense, de la paix et de la démocratie apparaissent comme primordiales. Jamais les campagnes électorales pour le Parlement européen n'ont été aussi centrées sur les enjeux de défense que cette fois-ci. Il semble que la « Zeitenwende » allemande (ou changement d’époque) fasse voler en éclats les habitudes électorales.
La campagne électorale allemande illustre bien cette évolution : sur les affiches de campagne des sociaux-démocrates figure le visage du chancelier avec le mot « paix ». Les conservateurs de la CDU et de la CSU demandent une augmentation des dépenses de défense et exigent avant tout la puissance militaire. Les autres partis allemands mettent également en avant les thèmes liées à la politique de défense. Le parti libéral FDP mise sur une politicienne comme tête de liste, connue pour sa « ligne dure » pro armement : La présidente de la commission de la défense au Bundestag, Marie-Agnes Strack-Zimmermann. Les écologistes mettent l'accent sur la défense des valeurs européennes telles que la liberté et la démocratie, qu'il faut protéger face aux dangers de l’extrême droite. Le fait qu'un pays où la politique de défense ne jouait aucun rôle dans la campagne électorale pour les élections législatives de 2021 discute désormais en détail de l'équipement et des missions de la Bundeswehr, de l'avenir de l'OTAN ou de l’avenir des relations avec la Chine illustre à quel point les temps ont changé.
Il est intéressant de voir comment tant les sociaux-démocrates que les conservateurs tentent de se positionner comme des acteurs « raisonnables » dans ce débat. Ils se distinguent certes verbalement et dans le style, mais sur le fond, les programmes électoraux sont tout à fait similaires en matière de politique de défense : l'Europe doit veiller ensemble à sa défense, l'acquisition d'armements doit être promue en commun et que l'on parle de "forces armées européennes" au sein de l'OTAN (CDU/CSU) ou d'une "armée européenne" (SPD), il s'agit davantage d'une différence sémantique que d’un désaccord sur le fond. Le discours sur la politique étrangère et de défense en Allemagne a donc changé, mais malgré des différences de style, ces thématiques continuent de faire l’objet d’une large unanimité à Berlin.
Cela se voit également dans le traitement du parti d’extrême droite, l’AfD, qui est au coude à coude avec les sociaux-démocrates pour la deuxième place aux élections européennes. Tous les partis du centre démocratique refusent de travailler avec ce parti qui se radicalise de plus en plus. Du côté français, le Rassemblement national (RN) d’extrême droite devrait très probablement être en tête de ces élections européennes avec une large avance. Ainsi, tant Paris que Berlin est menacé d’un virage à droite menaçant ainsi le projet européen. Les partis eurosceptiques rejettent la forme actuelle de l’UE, préférant une « Europe des Etats nations souverains ». Ainsi, dans ce cadre, une communautarisation de la politique étrangère et de défense n’est pas envisageable.
L'affaiblissement des normes démocratiques, la polarisation délibérée et l'adoubement de puissances autoritaires sont des positions centrales pour des partis comme l'AfD et le Rassemblement national. Malgré des contenus partagés, des fossés se creusent toutefois entre les deux partis. L'amateurisme et la minimisation de l'époque nazie des populistes de droite allemands, dont le candidat principal Maximilian Krah va de scandale en scandale, ont même conduit à leur exclusion du groupe I&D. La composition de la droite européenne après les élections est actuellement complètement ouverte. Mais c'est là aussi un danger pour le projet européen. Après avoir pris ses distances avec l'AfD, Marine Le Pen tente déjà de s'ouvrir aux autres partis d’extrême droite. Le parti post-fasciste de la Première ministre italienne Meloni et le parti de Viktor Orban en Hongrie sont ses partenaires privilégiés. Après les élections, un groupe parlementaire d’extrême droite allant d'Orban à Le Pen pourrait avoir le deuxième plus grand nombre de députés à Strasbourg, devant la formation sociale-démocrate.. Une perspective très inquiétante.
En effet, si l’extrême droite devenait aussi forte qu'on le craint après les élections, elle pourrait bloquer des projets centraux comme le "Green Deal" ou le soutien militaire et financier à l'Ukraine. La cohésion de l'Europe serait alors fortement menacée.
Auteur
Felix Kösterke est actuellement étudiant en dernière année de Master en Sécurité Internationale à Sciences Po Paris. Il a travaillé pour la Fondation Friedrich-Ebert à Berlin, pour l'association Interpeace à Bruxelles ainsi qu'au Parlement allemand.
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