26.06.2025

Femmes et engagement politique local en France et en Allemagne : comprendre les freins à la parité

Plus de cent ans après l’introduction du droit de vote des femmes, l’égalité politique reste inachevée en Allemagne. Ce manque de représentation est particulièrement visible au niveau communal. A l’inverse, la France semble plus proche de l’objectif de parité politique. Cette avancée ne s’explique pas uniquement par la « loi sur la parité » mais surtout par ses effets concrets, qui améliorent les conditions de participation politique des femmes – et de toutes et tous.

Pourquoi les femmes s’engagent-elles moins souvent en politique à l’échelle locale ? Et pourquoi sont-elles davantage présentes en France qu’en Allemagne ?  Cet article propose une analyse comparative des villes de Coblence (Allemagne) et de Dijon (France) afin de mieux comprendre les freins et leviers à l’engagement politique des femmes au niveau local. Il s’appuie sur des entretiens menés avec des expertes et des élues locales, et formule des recommandations concrètes en faveur de la parité.

Le point de départ de cette étude est la question suivante : quels facteurs institutionnels et socio-structurels – au-delà de la culture politique- influencent la décision des femmes de se porter candidates ? C’est à ce moment charnière, bien en amont des investitures partisanes ou du processus électoral, que de nombreuses femmes potentiellement candidates renoncent à se présenter.   

En France, la loi sur la parité impose aux partis une représentation équilibrée des femmes et des hommes sur les listes électorales. L’étude se concentre donc sur la décision individuelle des femmes de s’engager, en amont de toute sélection partisane. Quinze hypothèses portant sur les motivations et les obstacles à l’engagement politique des femmes ont été examinées à travers des entretiens qualitatifs avec des expertes.   

Les politiques sociales changent la donne

En France, certains facteurs socio-structurels - comme les systèmes de garde d’enfants ou le régime fiscal – facilitent l’emploi des femmes, y compris pour les mères. Les Françaises sont plus nombreuses à travailler à temps plein et retournent plus rapidement au travail après la naissance. Cette autonomie professionnelle renforce leur estime de soi et leurs ressources sociales, des éléments décisifs pour envisager un engagement politique. En Allemagne, en revanche, la charge de travail non rémunéré (soins, tâches domestiques) et le manque de soutien structurel constituent des freins majeurs. : « Les femmes n'osent souvent pas se porter candidates, en particulier aux postes de premier plan. Moi je me sentais suffisamment compétente et je tire surtout ma force de mes succès professionnels ! », souligne Daniela Nowak, vice-présidente du groupe CDU à Coblence.

Par ailleurs, le mandat communal est mieux reconnu comme une expérience valorisable professionnellement, notamment via la « validation des acquis de l’expérience ». De plus, la concentration des responsabilités sur certains mandats clés, combinée à un allègement des mandats « ordinaires », permet une meilleure adéquation entre l’investissement en temps, le pouvoir d’influence et la rémunération. Kildine Bataille, adjointe à la maire de Dijon, explique : « Pour la suite de ma carrière, j'aurais vraiment souhaité que les compétences acquises dans le cadre de mon mandat soient reconnues. Nous gérons un budget, nous sommes responsables de nos propres domaines d’activité de manière autonome et assumons de grandes responsabilités en tant qu'adjoints au maire ».

Enfin, en Allemagne, l’entrée en politique locale suppose souvent un long engagement bénévole au sein des partis, dominés par des logiques masculines, où l’influence des femmes reste faible.  Ce travail partisan durable exige un investissement considérable, ce qui dissuade surtout celles dont le temps est limité, comme les mères.

Quand la loi change la culture politique

La loi française sur la parité, en vigueur depuis 2000, impose une répartition équilibrée des candidatures hommes-femmes sur les listes électorales, et a contribué à transformer durablement les pratiques politiques.

Elle a notamment poussé les partis à adapter leurs pratiques de recrutement à la réalité de la vie des femmes. Ainsi, les partis investissent davantage de personnes issues de la société civile, reconnue pour leur expertise ou leur engagement local. Cela ouvre des perspectives à de nombreuses femmes – même sans enfants – souvent actives dans leur communauté mais peu enclines à s’engager immédiatement dans un parti.  Anne Plato, présidente du groupe communal Schängel souligne ainsi : « Je veux consacrer mon temps à des questions concrètes, loin de l'idéologie partisane, et faire bouger les choses sur le terrain ».

Par ailleurs, l’étude montre que les femmes s’engagent lorsqu’elles perçoivent de réelles possibilités d’influence – ce qui, dans la politique communale allemande dominée par les hommes, est souvent absent. Elles y servent régulièrement de « caution féminine » sans véritable pouvoir, estime la conseillère municipale Julia Kübler. Dans son ancien groupe, on « aimait bien s’afficher avec elle », mais ses prises de parole étaient régulièrement ignorées par ses collègues masculins, bien installés : « Je ne sais pas si je parle sur une fréquence que certains hommes ne peuvent tout simplement pas entendre… »

L’exemple de la ville de Dijon montre que l’augmentation du nombre de femmes en politique améliore la répartition du pouvoir en leur faveur. Ce constat est confirmé non seulement par les élues elles-mêmes, mais aussi par la hausse du nombre de femmes occupant des postes de direction politique, y compris au-delà du champ d’application de la loi sur la parité. « Les femmes occupent de plus en plus de postes à responsabilité, dans la politique comme dans l’ensemble de la société, et je pense que cela a un fort impact sur la culture politique, car cela montre que les femmes en sont tout à fait capables. Cela renforce l’acceptation des femmes qui exercent du pouvoir », affirme l’ancienne adjointe au maire Elisabeth Bio. Par ailleurs, le style politique « pédagogique et proche des citoyens » de la maire Nathalie Koenders motive aussi les femmes, en particulier celles qui rejettent les « faux débats » et les querelles idéologiques partisanes, à envisager une candidature.

Ces perspectives réelles d’influence encouragent les femmes à participer à la vie politique. La présence accrue de femmes améliore aussi le climat de travail, plus orienté sur le fond.  

Quelles mesures pour atteindre la parité ?

L’étude se conclut par des recommandations visant à lever les obstacles sur le chemin des femmes vers les conseils municipaux et à promouvoir la parité. Il est ainsi recommandé de reconnaître l’engagement municipal comme un élément de qualification professionnelle, et de créer des incitations pour que les entreprises soutiennent l’engagement politique, par exemple via des congés dédiés. La structure des mandats allemands devrait être adaptée au modèle français pour permettre un meilleur équilibre entre investissement temporel, influence et rémunération. L’adaptation des pratiques de recrutement partisan est une autre recommandation.

Une conclusion essentielle de ce travail est qu’il faut une obligation légale pour parvenir à la parité et enclencher un changement durable dans un système qui se reproduit lui-même. Une fois qu’une "masse critique" de femmes (critical mass) est atteinte, dotée de positions influentes (critical actors), le système devient plus équitable, plus inclusif et bénéfique à l’ensemble de la société.

Même si la France a encore des progrès à faire en matière d’égalité politique, elle a, avec sa loi sur la parité, enclenché un changement dont l’Allemagne peut s’inspirer. L’égalité ne doit pas rester une utopie : elle est une exigence démocratique qui requiert volonté politique et structures adaptées.

 

A propos de l'autrice

Pourquoi les femmes s'engagent-elles moins en politique à l'échelle locale ?  Et pourquoi sont-elles plus présentes en France qu'en Allemagne ? Theresa Lambrich a interrogé des expertes et des femmes politiques locales dans les villes de Coblence et de Dijon pour son mémoire de master à l'Euro-FH de Hambourg. Theresa Lambrich a elle-même été active dans la politique locale, notamment en tant qu'adjointe et membre du conseil régional. Elle vit actuellement en France et travaille comme responsable administrative au Centre allemand d'histoire de l'art de la Fondation Max Weber à Paris. Elle enseigne à l'Académie communale de Rhénanie-Palatinat dans le domaine de la communication politique et de la promotion des femmes.

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