Entretien avec Hélène Conway-Mouret, Sénatrice, vice-présidente de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, co-présidente du Cercle stratégique franco-allemand
Dans quelques jours, des responsables politiques, industriels et chercheurs de haut niveau venus d’Allemagne et de France se retrouveront à l’occasion du 39e Cercle stratégique coorganisé par la FES et l’IRIS. Où en est aujourd’hui la coopération franco-allemande en matière de défense ?
Hélène Conway-Mouret : La relation franco-allemande est actuellement au beau fixe. Du côté de l’exécutif, on constate une véritable entente entre Emmanuel Macron et le chancelier Merz, ainsi qu’entre les deux ministres de la Défense, Boris Pistorius et Sébastien Lecornu. Par ailleurs, le soir de son élection le chancelier a déclaré que la priorité des Européens doit être d’atteindre progressivement l’indépendance vis-à-vis des États-Unis. Cette formulation s’inscrit pleinement dans la vision française d’autonomie stratégique que nous défendons depuis plusieurs années. De plus, à travers le traité d’Aix-la-Chapelle, nous disposons d’instruments solides pour renforcer notre coopération – et il nous revient désormais de les activer pleinement. En effet, côté français, notre fenêtre d’opportunité est limitée à deux ans car il est difficile de savoir si le ou la prochain(e) président(e) poursuivra un agenda européen aussi clair et assumé que celui d’Emmanuel Macron.
Et au niveau de la coopération industrielle ?
C’est un point d’ombre majeur. À ce niveau, les choses ne fonctionnent pas aussi bien que nous l’espérions, et cela pourrait devenir un réel obstacle. Car pour que la volonté politique se traduise en actes, il faut des projets communs concrets — à l’image d’Airbus, de l’A400M ou de l’Eurofighter Typhoon. Or, on a observe aujourd'hui des incertitudes autour du programme Eurodrone. Et si demain elle faisait de même avec le SCAF ou le MGCS, cela remettrait sérieusement en question tout ce que je viens d’exposer. Les responsables politiques, j’en suis convaincue, souhaitent sincèrement faire avancer l’intégration. Mais du côté industriel, il règne une profonde méfiance. À mes yeux, cela tient en partie aux règles du marché intérieur européen : elles visent à encourager la concurrence, ce qui est légitime — sauf que le secteur de la défense n’y échappe pas.
L’attitude de Donald Trump et de l’administration américaine vient confirmer une tendance au désengagement américain vis-à-vis de l’Europe…quelles sont vos attentes vis-à-vis de cette nouvelle coalition à Berlin en matière de coopération transatlantique ?
J’attends un engagement européen renouvelé. Si la relation transatlantique demeure précieuse, il est urgent pour l’Europe de se préparer à l’éventualité de décisions unilatérales prises par une administration américaine de plus en plus distante, voire hostile à l’Europe. Il est donc temps de cesser toute forme de naïveté. Nous devons intégrer cette nouvelle réalité : nous ne sommes plus une priorité, parfois même perçus comme un poids, sauf lorsque nous servons leurs intérêts commerciaux.
Quelle doit être l’attitude de la France et de l’Allemagne dans ce cadre ?
Dans ce contexte, la seule manière de préserver une relation transatlantique équilibrée, c’est de faire bloc. Nos interlocuteurs à Washington ne s’en cachent pas : ils misent sur notre division, exploitant les relations bilatérales pour affaiblir notre position collective. Nous devons leur prouver qu’ils ont tort, comme nous l’avons fait lors du Brexit. L’unité européenne avait alors permis une négociation ferme, sans céder aux tentatives de division. Il faut retrouver cette force. C’est pourquoi j’appelle à une mobilisation commune, notamment entre la France et l’Allemagne. Si nous parvenons à défendre une véritable préférence européenne dans nos investissements, comme nous l’avons souhaité des deux côtés du Rhin, nous pourrons non seulement renforcer notre autonomie, mais aussi attirer à nous des partenaires comme le Royaume-Uni ou le Canada — qui montrent des signes clairs de rapprochement. Une coopération transatlantique reste indispensable. Mais elle ne sera viable que si le rapport de force est rééquilibré. Pour cela, l’Europe doit cesser d’être naïve, affirmer ses intérêts et agir collectivement. Sinon, nous continuerons à subir une relation asymétrique qui ne nous protège plus.
Dans ce contexte où l’Europe doit renforcer son autonomie stratégique, les questions budgétaires prennent une importance particulière. Berlin a mis en place un important fonds spécial pour financer sa politique de défense, tandis que Paris est plus contraint dans ses dépenses au risque d’aggraver sa dette. Cette asymétrie budgétaire constitue-t-elle à vos yeux un risque ou une opportunité pour la coopération bilatérale ?
Je parlerais plutôt de rattrapage de la part de l’Allemagne. La France a historiquement investi bien davantage dans sa défense, là où l’Allemagne, pour des raisons liées à son histoire, a longtemps sous-investi de manière structurelle. L’Allemagne amorce aujourd’hui une montée en puissance nécessaire pour mettre sa Bundeswehr au niveau des standards français. Il faut rappeler que l’armée française est une armée pleinement opérationnelle, engagée sur de nombreux théâtres extérieurs, notamment en Afrique, et au sein de plusieurs coalitions internationales. Cette expérience lui confère une capacité d’action qui manque encore à l’Allemagne. D’où l’importance de ce rattrapage — en matière d’équipements, de formation, et peut-être, à terme, d’engagement des troupes, même si cela n’a pas encore été acté. Cela étant dit, je vois dans ce réarmement allemand une opportunité : pour la défense européenne, bien sûr, mais aussi pour l’économie allemande. Dans un contexte où son industrie automobile est en difficulté, ces investissements peuvent favoriser un rebond industriel, comme on le voit avec le succès spectaculaire de Rheinmetall. C’est un moteur potentiel de croissance, d’emplois et de réindustrialisation. Et une Allemagne forte économiquement, c’est aussi une bonne nouvelle pour l’Europe dans son ensemble.
Justement, cette montée en puissance allemande s’inscrit dans un cadre institutionnel très différent du cadre français. Alors que, chez nous, le Président dispose de prérogatives très larges en matière de défense, en Allemagne, c’est le Bundestag qui détient un rôle central. En tant que parlementaire socialiste, comment évaluez-vous vos marges de manœuvre pour peser sur la politique de défense française ?
Comme dans beaucoup de domaines, il y a des avantages et des inconvénients. En France, le fait que le Président de la République dispose de prérogatives étendues en matière de défense permet une réactivité qui n’existe pas ailleurs. C’est un atout, notamment parce qu’il est lié aussi à notre doctrine de dissuasion nucléaire, qui exige une capacité de réaction maximale. Cela dit, conformément à l’article 35 de la Constitution, le Parlement est informé de la décision du gouvernement de faire intervenir les forces armées à l’étranger et doit donner son accord en cas de prolongation de l’intervention au-delà de quatre mois. Mais la Constitution ne dit rien, ni sur une opération extérieure (OPEX) qui s’étendrait sur plusieurs années, ni sur l’arrêt d’une OPEX. Et c’est là que le bât blesse. J’ai souvent exprimé mon agacement à ce sujet, notamment pendant l’opération au Mali en 2013 où nous avons voté l’engagement des troupes, mais alors même que des tensions croissantes apparaissaient sur le terrain, il était extrêmement difficile d’obtenir un véritable débat au Parlement. L’Allemagne bénéficie d’un cadre démocratique plus solide sur ces sujets, et c’est essentiel. La défense, la sécurité des citoyens, c’est une question de souveraineté. Et cela ne peut pas reposer uniquement entre les mains d’un seul homme, fût-il Président de la République. L’un des enseignements majeurs de la guerre en Ukraine, c’est que la résilience de la population est un facteur décisif. Or, cette résilience ne peut exister que si les citoyens sont informés, associés, impliqués. La défense ne doit pas être l’affaire d’un cercle restreint d’experts ou de militaires. C’est une question politique majeure, qui nous concerne toutes et tous. Notre marge de manœuvre se limite souvent à protester publiquement, interpeller les ministres, signer des tribunes ou adresser des courriers. Mais il est urgent d’aller plus loin. La démocratie ne s’arrête pas aux portes du ministère des Armées. C’est une vraie faiblesse du système français, et c’est, à mes yeux, profondément regrettable.
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