16.09.2024

« Nous avons besoin d’une plus grande confiance stratégique »

Après un été marqué par l'incertitude, durant lequel le président français a pris son temps pour former un nouveau gouvernement à la suite des élections anticipées, il devient impératif que les progressistes français et allemands se réunissent pour aborder les défis communs en matière de défense et de sécurité. Quelles seront les implications de la nomination de Michel Barnier en tant que Premier ministre ? Comment la position du président Macron, affaibli après sa défaite électorale, évoluera-t-elle sur la coopération en matière d’armement ? Le format du « Cercle Stratégique » organisé par la FES Paris et l’IRIS accueillera prochainement à nouveau cette rencontre. Depuis près de 25 ans, ces deux partenaires invitent des élu(e)s, des industriels, ainsi que des experts en politique étrangère et défense à dialoguer dans un cadre franco-allemand sur ces questions. Nous avons interrogé Nils Schmid, député fédéral et porte-parole du groupe parlementaire SPD pour les affaires étrangères, qui co-préside ce format côté allemand. Il nous a partagé sa vision et ses attentes quant au rôle de la France et de l'Allemagne dans un monde de plus en plus instable.

Avec la guerre d’agression russe en Ukraine, les exportations d'armement, l'OTAN, les deux pays n'ont jamais eu autant de défis à relever en matière de paix et de sécurité qu'aujourd'hui. Ce, alors que les relations bilatérales entre les deux pays sont très tendues. Qu’en est-il de la relation entre les deux voisins en matière de coopération pour la paix et la sécurité en Europe ?

Cette coopération est plus importante que jamais. Mais par rapport au passé, les centres d’intérêts en matière de politique étrangère entre nos deux pays ont évolué. Traditionnellement, la France tournait davantage son regard vers l’Afrique et l’Allemagne davantage vers la Russie et l’Europe de l’Est. Aujourd’hui, cela n’est plus vrai. Dans une certaine mesure, c'est une bonne chose, car ni le bilan de la France au Sahel ni la politique russe passée de l'Allemagne ne peuvent être qualifiés de succès. Ainsi, l’Allemagne et la France doivent aujourd’hui s’intéresser à tous les sujets de politique étrangère de la même manière et se coordonner très étroitement. Malheureusement, des malentendus sont apparus à plusieurs reprises ces dernières années.

 

Quels sont les points de divergences les plus importants, qui susciteront le plus de débats lors du prochaine Cercle stratégique franco-allemand qui se tiendra la semaine prochaine ? 

La question centrale reste de savoir dans quelle mesure on mise sur l'OTAN et le partenariat de sécurité avec l'Amérique et comment on peut y intégrer le pilier européen de l'OTAN ou la politique étrangère et de sécurité européenne autonome de l'UE. Il y a traditionnellement des approches différentes dans les deux pays. La France a une certaine envie d'autonomie, alors qu'en Allemagne, nous misons beaucoup sur le partenariat avec Washington. D'autre part, ces derniers mois, nous avons vu le président Macron prendre une position étonnamment ferme, du moins verbalement, sur la question du soutien militaire à l'Ukraine. Nous ne devons pas non plus perdre de vue les crises et les conflits au Proche-Orient et en Afrique. Sur tous ces sujets, il est absolument nécessaire de se concerter en permanence, de s'informer mutuellement et d'échanger nos appréciations respectives. Je me réjouis d'en apprendre davantage sur le point de vue français lors du Cercle Stratégique. Car, comme je l'ai déjà dit, une étroite concertation entre la France et l'Allemagne est absolument nécessaire.

 

Que faut-il changer pour que la France et l'Allemagne puissent mieux coopérer, pour que cette concertation fonctionne vraiment et pour qu'il y ait peut-être moins de malentendus dans les relations bilatérales ?

Nous devons intensifier nos échanges, et ce sur tous les sujets. Par exemple, en ce qui concerne les évolutions sur le continent africain, l'Allemagne et la France parlent peut-être encore trop souvent à côté l'une de l'autre. De manière générale, je souhaite qu'il y ait moins de surprises. Dans le sens où le partenaire ne doit pas être pris au dépourvu. A travers des déclarations ou des initiatives de l’un, que l’autre ne pouvait pas prévoir et sur lequel nous n’avons pas eu le temps d’échanger à l’avance. C'est précisément là que les choses ont souvent achoppé inutilement par le passé. Cela est sans doute lié à des cultures stratégiques et styles politiques différents en France et en Allemagne, mais c'est tout de même très gênant. Nous avons aujourd'hui besoin d'une plus grande confiance stratégique, et celle-ci ne peut naître que d'accords solides et prévisibles.

 

Les deux pays traversent actuellement une période difficile sur le plan de la politique intérieure et de l'économie et semblent avoir peu de capacité à développer des idées pour la sécurité de l'Europe, et encore moins à avancer en tant que puissances dirigeantes en Europe.Que faut-il pour éviter un vide dangereux au sein de l'UE, surtout dans la perspective des élections américaines ?

Nous avons besoin de stabilité au niveau des gouvernements et de fiabilité dans les relations bilatérales comme dans la politique européenne. En Allemagne, il peut certes y avoir des tensions fortes au sein d’un gouvernement de coalition, mais ce dernier reste généralement en place jusqu'à la date normale des élections. Ainsi, du côté allemand, nous avons donc encore de la visibilité et de la stabilité jusqu'à l'automne 2025. En France, en revanche, nous avons assisté ces dernières années à des changements constants à la tête du gouvernement et des ministères. Une coopération et une concertation à long terme ne sont possibles qu'au niveau du président de la République et de l'administration présidentielle au palais de l'Élysée. Mais si c'est la seule constante, cela rend difficile la collaboration technique au niveau ministériel et en dessous, et il n'est guère possible d'établir des relations personnelles pour une collaboration basée sur la confiance. La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock travaille par exemple déjà depuis 2021 avec le troisième ministre français des Affaires étrangères. Et bientôt, le ou la prochaine s'installera au Quai d'Orsay, ce qui ne facilite pas la bonne coopération à long terme. 

 

Qu'attend-on donc du nouveau gouvernement de Michel Barnier du point de vue allemand et européen ?On le connaît déjà depuis longtemps.Sera-t-il en mesure de donner une ligne à la politique étrangère et de défense française ?

Nous ne devons pas avoir d'attentes démesurées vis-à-vis de Michel Barnier et de son nouveau gouvernement. Je pense qu'il sera plutôt éphémère. Un grand avantage est bien sûr qu'il est un Européen convaincu et qu'on le connaît bien en Europe. En tant que négociateur du Brexit et ancien commissaire européen, il a prouvé ses talents de négociateur et sa position pro-européenne. Ce qui est très désavantageux, c'est qu'il ne sera pratiquement qu'un Premier ministre à la merci de Marine Le Pen. S'il veut vraiment faire de la politique et la façonner, c'est-à-dire faire passer des lois au Parlement, il a besoin d'un soutien politique. Comme il a été nommé en opposition à la force principale à l'Assemblée nationale, donc contre le Nouveau Front Populaire progressiste, il est tributaire d'une tolérance et du soutien de l'extrême droite. Cette situation n'est bonne ni pour la France ni pour l'Europe. C'est aussi pour cette raison que le dialogue à venir est très important pour moi, je suis plus qu'impatient de connaître l'évaluation de mes interlocuteurs français la semaine prochaine.

 

Auteur

Felix Kösterke est analyste indépendant pour les questions de sécurité européenne à Berlin. Auparavant, il était rédacteur responsable du blog « Zeitenwende » de la Friedrich-Ebert-Stiftung. Il est titulaire d'un master en études de sécurité internationale de Sciences Po, Paris.  

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