Législatives 2024 - Vue de Berlin
Les résultats du second tour des élections législatives françaises ont été accueilli avec un grand soulagement à Berlin. Alors que les sondages le plaçaient en tête, le Rassemblement national, parti xénophobe, europhobe et germanophobe n’a pas obtenu une majorité de sièges à l’Assemblée nationale. Du côté allemand, les scénarios les plus sombres avaient déjà été prédits : la perte du partenaire le plus important en Europe et un arrêt des relations franco-allemandes déjà difficiles. Une situation cauchemardesque dans une période dominée par des crises politiques importantes.
Inquiétudes croissantes à Berlin
Cependant, malgré le soulagement, l’actuelle coalition « feu tricolore » regarde désormais avec inquiétude la formation future du prochain gouvernement français. L’incertitude demeure sur qui gouvernera le principal pays partenaire, et voisin de la République fédérale d’Allemagne. Beaucoup espèrent que la France maintiendra son cap pro-européen, malgré les récentes prises de positions critiques des partis conservateurs et de gauche à l’égard de l’UE. Les observateurs estiment que le président français sera certes affaibli, mais que sa ligne de conduite déterminera jusqu'à nouvel ordre la politique étrangère, de sécurité et européenne, comme la Constitution française le lui permet dans une large mesure.
Certains à Berlin estiment que le résultat des élections signifiera un renforcement du rôle de l'Assemblée nationale et donc de la démocratie française. A l'avenir, trois blocs forts devront trouver des compromis entre eux, sans majorité claire ni mandat gouvernemental - ce qui, du point de vue allemand, n'est pas une vision d'horreur comme dans le pays voisin, mais un quotidien politique.
Au sein du think tank allemand proche du gouvernement, la Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), les experts français décrivent la situation de manière plutôt critique : "La France entre dans une période d'immobilisme et d'instabilité politique. (...) A long terme, la perdante des élections, Marine Le Pen, devrait en profiter". Dans l'ensemble, les chercheurs du SWP estiment que la situation est grave : "Le système politique français se trouve dans une phase de transition. La Vème République se termine dans un état entre imprévisibilité et paralysie. Un nouveau système n'est pas (encore) en vue".
Les experts économiques allemands constatent en outre que les élections françaises marquent probablement un tournant d'un point de vue économique. Face aux résultats des élections, le président libéral-conservateur Emmanuel Macron sort fortement affaibli de cette séquence ce qui pourrait également marquer sa "fin en tant que réformateur". Les conservateurs allemands sont alarmés par l'endettement et la compétitivité de leur voisin. La campagne électorale courte et chaotique a contribué à ce que "la qualité du débat public sur les questions économiques en France se soit encore détériorée", constate Paweł Tokarski du SWP. D’après lui "Les problèmes structurels tels que la qualité de l'éducation, l'augmentation de la productivité ou la promotion de l'innovation n'ont guère été abordés. La politique économique française devient de plus en plus protectionniste et étatiste. Il est très peu probable que les prochains gouvernements fassent preuve d'enthousiasme dans l'intégration du marché intérieur ou veuillent conclure de nouveaux accords commerciaux de l'UE avec des pays tiers", conclut Tokarski.
L'incertitude politique à Paris inquiète également de plus en plus les experts financiers allemands. Celle-ci menace de faire grimper les coûts du service de la dette. Compte tenu de sa taille, la stabilité du marché de la dette française est pourtant décisive pour l'ensemble de la zone euro, souligne-t-on. Dans ces conditions, on peut se demander si le Parlement français parviendra à voter à l'automne un budget conforme aux nouvelles règles fiscales de l'UE.
On craint que la crise politique à Paris ne se transforme en crise de confiance au sein de l'UE et ne s'étende à d'autres pays de la zone euro, en particulier à l'Italie, qui lutte elle-même actuellement contre un endettement public élevé, selon les commentaires des quotidiens allemands. Bien que les experts considèrent ce risque comme faible, le ministre allemand des Finances Christian Linder s'est clairement positionné dans la tradition du frugalisme allemand lors de la réunion des ministres des Finances de l'UE le 15 juillet dans le débat sur la dette : une mutualisation des risques, une mutualisation de la responsabilité et de la dette ne contribue pas à la stabilité et "ne sera donc pas soutenue par l'Allemagne".
Dans l'ensemble, les observateurs de la France en Allemagne craignent que Paris - quel que soit le gouvernement - ne devienne un partenaire encore plus difficile et imprévisible pour Berlin.
Auteur
Felix Kösterke est actuellement étudiant en dernière année de Master en Sécurité Internationale à Sciences Po Paris. Il a travaillé pour la Fondation Friedrich-Ebert à Berlin, pour l'association Interpeace à Bruxelles ainsi qu'au Parlement allemand.
Friedrich-Ebert-Stiftung
Bureau de Paris
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France