23.06.2025

« Je vois désormais de meilleures perspectives pour les projets franco-allemands »

Entretien avec Nils Schmid, secrétaire d’État aux Affaires étrangères et coprésident du Cercle Stratégique de la Fondation Friedrich-Ebert

Dans quelques jours, des responsables politiques, industriels et chercheurs de haut niveau venus d’Allemagne et de France se retrouveront à l’occasion du 39e Cercle stratégique coorganisé par la FES et l’IRIS.  Où en est aujourd’hui la coopération franco-allemande en matière de défense ?

Nils Schmid : Côté français, nous observons actuellement une certaine stabilité institutionnelle, ce qui est essentiel pour la continuité des projets communs. Cette stabilité tient notamment à la longévité du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, en poste depuis un temps désormais significatif. Cela a permis de renforcer la relation de confiance avec Boris Pistorius, seul ministre allemand à avoir conservé ses fonctions après le remaniement. Ce duo offre une continuité précieuse pour approfondir notre coopération bilatérale.

Cela ne saurait toutefois masquer les nombreux défis encore à relever. Y a-t-il, selon vous, des raisons d’être optimiste ?

Oui, il y a des raisons d’espérer. Les projets conjoints ont désormais de meilleures perspectives, et surtout, ils bénéficient de la ferme volonté politique des deux ministres de les mener à bien. Cette détermination est indispensable, car les intérêts industriels restent parfois divergents de part et d’autre du Rhin. Je demeure néanmoins plus réservé sur d’autres aspects de la coopération, notamment en raison de l’incertitude qui plane sur le futur budget français. La souveraineté stratégique de l’Europe dépend fortement des moyens budgétaires qui lui sont alloués, et c’est justement là que les marges de manœuvre françaises apparaissent contraintes.

La France continue d’espérer des avancées en matière de financement européen…

Tant que la CDU conserve une influence politique majeure en Allemagne, il ne faut pas s’attendre à des avancées substantielles sur le front du financement européen, qu’il s’agisse de la sécurité ou de la politique industrielle. Ce désaccord structurel persistera.

Les partenaires français s’interrogent également sur les effets de l’investissement massif que l’Allemagne consacre désormais à ses capacités de défense. À Paris, certains redoutent une dynamique déséquilibrée au détriment de la France. Cette sensibilité est-elle perçue à Berlin ?

Oui, cette préoccupation est bien connue et prise au sérieux. L’Allemagne mobilise effectivement des montants considérables. Cela aura un impact bien plus significatif que les efforts réalisés par certains petits pays de l’OTAN qui tendent vers 3 ou 4 % de leur PIB. En même temps, l’Allemagne répond à une demande constante de ses partenaires européens : qu’elle assume, également sur le plan militaire, les responsabilités qui lui incombent en tant que première puissance économique du continent.

L’Allemagne est-elle prête à investir davantage dans l’industrie de défense de ses partenaires européens ?

Nous sommes confrontés à une tension difficile à résoudre. D’un côté, nous devons agir vite pour renforcer la défense nationale et collective, avec les équipements immédiatement disponibles sur le marché, car la menace russe est bien réelle. De l’autre, nous devons impérativement investir dans des projets industriels européens à long terme, comme les l’avion de combat du futur ou les chars de nouvelle génération. Oui, nous voulons consolider la souveraineté européenne, et cela implique de faire les deux à la fois : l’urgence et la vision stratégique.

On observe récemment un certain rapprochement entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Même si un gouvernement travailliste est probable à Londres, on perçoit une forme de rivalité franco-allemande dans la relation à la Grande-Bretagne. Qu’en pensez-vous ?

Si nous parvenons, à travers la politique de défense française, à créer de nouveaux ponts entre l’UE et le Royaume-Uni, c’est évidemment très positif. Un esprit de concurrence entre États membres serait déplacé dans ce contexte. L’Allemagne a aussi intérêt à renforcer ses liens bilatéraux avec Londres, même si la France bénéficie d’une avance historique grâce aux accords de Lancaster House. Il est vrai que Paris et Londres trouvent plus facilement un terrain d’entente sur les exportations d’armement et la coopération militaire, en raison de leur expérience et de leur culture stratégique communes. Mais le renforcement du partenariat entre l’UE et le Royaume-Uni ne devrait en aucun cas être laissé à l’initiative d’un seul pays.

Un mot sur Berlin et le SPD. En France, le manifeste signé par Rolf Mützenich, Ralf Stegner et d’autres a suscité une certaine perplexité. Faut-il y voir une remise en question de la ligne du parti sur les questions de défense ?

Il ne faut pas surévaluer la portée de ce texte. Il a fait du bruit dans les médias, précisément parce qu’il déroge à la ligne gouvernementale. Mais les votes internes au SPD sur le programme électoral comme sur le contrat de coalition ont démontré un soutien clair au cap fixé par Olaf Scholz et Lars Klingbeil, notamment en ce qui concerne le soutien à l’Ukraine.

En Allemagne et en France, on a l’habitude d’une gauche souvent divisée, notamment au sein des sociauxdémocrates et du Parti socialiste…

En réalité, la SPD mène une discussion qui traverse l’ensemble de la société allemande : comment concilier notre aspiration à la paix avec la brutalité de la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine ? Cette réalité ne peut être balayée par de simples appels à la paix et à la diplomatie. L’Allemagne aussi a pris acte de la nature profondément néo-impérialiste du régime de Vladimir Poutine, qui ne respecte plus les frontières reconnues en Europe et tente de les redessiner par la force. Cela a conduit, au sein même du SPD, à une réévaluation lucide de l’héritage de Willy Brandt : la politique de détente doit toujours être complétée par une capacité crédible de dissuasion.

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